"Peter Grimm consulta une vieille montre à gousset ruinée qu’il sortit de sa poche intérieure.
D’un geste leste et si furtif de la main qu’il ne parut pas avoir été fait, il fit voler son vieux haut-de-forme cabossé.
- Excusez-moi, je reviens…
Le chapeau se posa avec la légèreté d’une plume sur le sol. Peter Grimm s’en approcha d’un pas faussement pataud. Il s’en approchait, mais à chaque fois qu’il paraissait sur le point de s’en saisir, son couvre-chef prenait la fuite. L’homme à l’allure de Pierrot lunaire faisait mine de s’en approcher sans en avoir l’air, à pas de loup. Le chapeau lui échappait sans coup férir.
D’abord éparpillés et indifférents, tous les regards commencèrent à converger vers Peter Grimm qui poursuivait son numéro à l’imitation des pionniers du cinéma burlesque. Bientôt hilare de voir cet homme lourdaud jouer les funambules, ils le considéraient avec attention. Dans un ultime assaut, il plaqua son haut-de-forme contre le sol. Au milieu de tous les convives, il prit dans ses mains le vieux haut-de-forme aplati pour en débarrasser d’un revers de manche la poussière qui s’y était déposée.
- Excusez moi braves gens, mais en ce moment je travaille du chapeau !…Humm… Au moment même où l’on procède à la réfection des vieux quartiers de notre bonne ville, je vais vous conter une histoire qui s’est déroulée dans un lieu qui n'existe plus, un lieu où s'entremêlent la légende et l'histoire… Je vais vous demander de bien vouloir fermer vos yeux… Prêts ?… Allez-y ! Fermez-les donc pour empêcher que le flot des images de la réalité ne vienne submerger votre esprit. Voilà. Prêt pour le grand départ ? Larguez les dernières amarres qui vous rattachent encore à ici et au présent. Laissez-vous bercer et porter par la douce brise de la rêverie. Hissez haut la grand-voile de votre âme d’enfant. Maintenant, vous pouvez laisser votre esprit voguer et divaguer sur le long cours de votre imagination. Imaginez…
Comme hypnotisés, tous les regards fermés de l’assistance convergeaient vers le vieux saltimbanque. A l’abri derrière leurs rideaux de chair, leurs yeux béants réclamaient avec force des nourritures d’images intérieures et de mots."